Mouvement "Europe & La?cit?"


  

Etudes et points de vue:
2. L'espace social
(1. La Charte des Langues R?gionales)

       

     
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L'espace social : un concept ? promouvoir

par B. Courcelle (Version compl?te d'un article paru dans Europe & La?cit? no 157)

Merci d'. Elles seront publi?es sur cette page.


Introduction

Dans un article tr?s riche intitul? : S?cularisation, la?cit?: sur la singularit? du parcours fran?ais (1), Marcel Gauchet replace l'?mergence de la la?cit? et son d?clin actuel dans le cadre de l'?volution des rapports entre la soci?t? civile et l'Etat.
Cet article montre, entre autres choses, l'insuffisance de l'opposition espace public/espace priv? dans les r?flexions sur la la?cit?. Il met en valeur le r?le de ce que j'appellerai l'espace social, interm?diaire entre l'espace public et l'espace priv?.

L'espace public englobe tout ce qui rel?ve de l'Etat: minist?res, pr?fectures, r?gions, municipalit?s, et les services publics correspondants: justice, arm?e, polices, ?ducation, finance, diplomatie, patrimoine culturel, ainsi que les manifestations officielles, les rencontres entre chefs d'Etats. Il est r?gi par le "droit public".
L'espace priv? recouvre d'une part les int?r?ts (?conomiques) priv?s et d'autre part, tout ce qui concerne la vie priv?e (famille, relations).
L'espace social englobe les partis politiques, les syndicats, les associations "loi de 1901", les associations cultuelles (d?finies par la loi de 1905 de s?paration de l'Etat et des religions). Avec l'espace priv?, il constitue la soci?t? civile, qui s'est progressivement dissoci?e de l'Etat, comme l'explique M. Gauchet dans l'article cit?.

L'espace social permet l'expression publique d'opinions personnelles, l'organisation de spectacles, de c?r?monies religieuses. La loi de 1905, qui stipule que la R?publique ne reconna?t aucun culte ne renvoit donc pas la pratique religieuse au domaine priv? de la vie familiale, mais ? l'espace social (r?gi lui aussi par le "droit priv?").
Diff?rents groupes religieux utilisent les ambigu?t?s du terme "priv?" (2) pour revendiquer une reconnaissance publique de leurs religions, c'est ? dire, en fait, plut?t qu'une int?gration dans les structures de l'Etat, une prise en charge de leurs cultes sur les fonds publics, auxquels contribuent tous les citoyens, quelles que soient leurs opinions religieuses.
L'espace social est le lieu d'exercice de la citoyennet? et des libert?s. Son importance devrait s'accro?tre avec la diminution de la dur?e du travail.
Il permet une structuration des courants d'opinion, et en constitue un relais aupr?s des responsables politiques. Charge ? eux de distinguer les associations repr?sentatives de courants d'opinions importants, des lobbies camouflant des int?r?ts particuliers ou communautaristes. L'existence d'une association ne prouve pas sa repr?sentativit?, ni la pertinence de ses options. Son "poids" d?pend de ses moyens finaniers, et ... de l'?nergie de ses adh?rents.
Les associations et leurs repr?sentants ne doivent donc avoir qu'un r?le de conseil. Cela exclut d'embl?e leur repr?sentation officielle dans les instances gouvernementales.

Un ?quilibre n?cessaire.

Des lois ont pour objet d'?quilibrer les pouvoirs ?manant de ces trois espaces.
La la?cit? r?publicaine prot?ge (ou devrait prot?ger) l'espace public et donc le bien commun de la domination id?ologique des lobbies (politiques, ?conomiques ou religieux) et des int?r?ts priv?s. D'autre part, l'espace public doit ?tre prot?g? de men?es priv?es ou associatives n?fastes au bien commun: attributions de subventions injustifi?es, fraude fiscale, corruption, espionnage, terrorisme. On pourrait citer ?galement, comme exemples de l'appropriation de l'espace public les plages priv?es et les for?ts interdites aux promeneurs pour cause de chasse.
Les lois de d?fense des libert?s d'expression et d'association prot?gent les particuliers et les associations de l'emprise de l'Etat.
Mais l'Etat n'est pas seul ? mettre en danger la libert? d'expression. La censure est de plus en plus le fait de lobbies, religieux en particulier, dot?s de puissants moyens et qui tentent d'utiliser (voire de d?tourner) les lois pour imposer leurs vues. Et c'est paradoxalement au nom de la tol?rance qu'ils cherchent ? faire appliquer une censure. On pourrait ?galement citer les associations d'homosexuels militants qui pratiquent (aux Etats-Unis) la r?v?lation publique, contre la volont? des int?ress?s, de leurs pr?f?rences sexuelles. Les libert?s individuelles sont ?galement mises en danger par ces associations extr?mistes.
Bien que prot?g? par des lois (respect du domicile, des donn?es personnelles, du secret du courrier, de la vie priv?e), l'espace priv? n'est pas hors du contr?le de la justice: la famille n'est pas un espace de non-droit. Le principe du respect de la vie priv?e ne doit pas emp?cher l'Etat de s?vir contre les violences familiales.
Le syst?me scolaire public comme priv?, rel?ve des trois espaces: l'?quilibre y est particuli?rement difficile ? trouver, du fait d'une part des incertitudes li?es au ch?mage et d'autre part des ?volutions en cours de la soci?t? (individualisme, consum?risme, remise en cause des valeurs universalistes).

En r?sum?, un ?quilibre est ? trouver et ? maintenir, dans un contexte o? les ?volutions sont rapides et continuelles. Il est impossible de s'abriter derri?re des principes donnant tout le pouvoir ? telle ou telle composante.

Cette approche devrait permettre de r?cuser un certain nombre de demandes qui visent de fait ? diminuer la puissance publique au profit de groupes d'int?r?ts particuliers.
Voyons quelques cas concrets.

La charte europ?enne des langues r?gionales et minoritaires.

Rien n'interdit actuellement la pratique des langues vis?es par cette charte, adopt?e par le Conseil de l'Europe en 1992, qu'il est question pour la France de ratifier. (Voir Europe et La?cit? no 156). L'organisation de festivals culturels (qui peuvent ?tre subventionn?s sur fonds publics) permet de faire vivre ces langues.
Ce n'est donc pas les cantonner au "domaine priv?", ? une pratique familiale (voire clandestine comme cela a ?t? le cas par le pass?), que de leur refuser une reconnaissance officielle, par exemple pour la r?daction des contrats de travail. La Charte europ?enne des langues r?gionales et minoritaires est peut-?tre justifi?e pour certains pays o? le multilinguisme est une r?alit? (tels que la Belgique ou la Suisse). Ce n'est pas le cas de la France, et sa ratification correspondrait ? une r?duction suppl?mentaire de l'espace public au profit de lobbies r?gionalistes, ? une destruction, ? terme de l'unit? de la R?publique, et ? un accroissement du juridisme qui impr?gne de plus en plus la soci?t?.

La non-reconnaissance officielle des religions.

Les lois de 1901 et de 1905 permettent aux groupes religieux les plus divers (y compris les sectes) de se constituer et de pratiquer leurs cultes ouvertement (s'ils le souhaitent). On ne voit pas qu'il soit besoin d'un niveau suppl?mentaire de reconnaissance.
En fonction du s?rieux et de la repr?sentativit? de ces associations, les pouvoirs publics les prendront comme interlocuteurs, au m?me titre que n'importe quelles autres. Mais les religions n'ont pas ? avoir de poids particulier, par exemple dans les comit?s d'?thique. Comme si l'?thique la?que n'int?grait pas toutes les options philosophiques!

Ni les employ?s de soci?t?s priv?es, ni les fonctionnaires ne sont autoris?s ? manifester leurs convictions politiques ou religieuses, ou ? traiter diff?remment leurs interlocuteurs sur de tels crit?res dans le cadre de leurs fonctions. La non-reconnaissance officielle des religions ne fait que prolonger ce principe bien admis. On pourrait ajouter qu'il est g?n?ralement observ? en famille ou dans le cadre des relations amicales, de mani?re ? respecter la diversit? des opinions politiques et religieuses.
On ne voit pas pourquoi les religions devraient avoir, dans l'espace public, une reconnaissance qu'elles n'ont pas dans la vie de tous les jours.

Note: L'introduction de jours feri?s relatifs ? des f?tes religieuses non chr?tiennes est parfaitement envisageable sans violer la la?cit? et semble compatible avec la diminution de la dur?e du travail.

Les subventions.

Bien que la loi de 1905 stipule que la R?publique ne subventionne aucun culte, dans la mesure o? une partie des versements faits au "denier du culte" donne lieu ? d?duction fiscale, elle subventionne de fait l'?glise catholique, tout comme elle subventionne par le m?me canal Amnesty International, ce qui est raisonnable, mais aussi l'Association des Amis de J. Lejeune, soutien quasi-officiel des commandos anti-IVG, ce qui est scandaleux.
Peut-?tre faudrait-il revoir de fond en comble les autorisations de subventionnement directes et indirectes de la part des pouvoirs publics, et en faire d'abord un bilan chiffr?.
Les salaires des pr?tres, pasteurs et rabbins d'Alsace et de Moselle sont pay?s sur le budget g?n?ral de l'Etat. Ne pourrait-on pas sugg?rer, dans un premier temps, que cette charge soit transf?r?e aux r?gions concern?es ? Cela devrait encourager leurs contribuables ? r?clamer l'application de la loi de 1905 dans ces d?partements.

Tendances

L'?quilibre des pouvoirs des trois "espaces" est en ?volution continuelle. Les grandes tendances semblent ?tre les suivantes.

1. Une tendance ?vidente est le renforcement des droits et protections de l'individu, ?ventuellement au d?triment du pouvoir familial, ainsi que des int?r?ts priv?s, tr?s souvent au d?triment du bien commun. La parit?, le renforcement des droits des minorit?s, conduisent ? (ou traduisent) une modification profonde du concept de citoyennet?.

2. Les associations, partis et syndicats constituant l'espace social ont la force que leur donne la participation des citoyens, pour le meilleur et pour le pire, selon leurs objectifs et leurs actions.
Certaines associations caritatives ou ?cologistes ont beaucoup d'impact sur l'opinion publique, et le financement d'une "Fondation" peut ?tre, pour une firme priv?e, une publicit? d?guis?e. L'Etat ne doit pas renoncer ? son r?le d'arbitre et les citoyens ? leur esprit critique.

3. L'Etat accepte de plus en plus de perdre du pouvoir et des responsabilit?s au profit de technocrates (banques centrales ind?pendantes, Commission Europ?enne), d'associations (aide sociale et humanitaire), d'int?r?ts priv?s (privatisations syst?matiques, r?glementations fiscales favorisant l'investissement immobilier priv?).
La d?centralisation qui n'est pas une mauvaise chose en soi, pose le probl?me de la d?termination du niveau auquel les d?cisions doivent ?tre prises et ex?cut?es. En d'autres termes il s'agit de faire une application raisonnable du principe de subsidiarit?, en fonction du domaine consid?r?.

Il faut ?galement distinguer les notions de service public et d'entreprise publique, toutes deux de plus en plus contest?es.
Un service public peut-?tre sous tutelle publique directe (justice, police, arm?e), ou conc?d? ? des entreprises suivant des cahiers de charge, imposant le respect de l'int?r?t g?n?ral.
D'autre part, le recours, pour des services d'int?r?t g?n?ral, aux entreprises priv?es para?t acceptable lorsqu'il y a r?elle possibilit? de choix de la part du consommateur: plusieurs compagnies a?riennes peuvent desservir une m?me ligne. (Il reste bien s?r le probl?me des lignes transversales dont la desserte, m?me non rentable, est importante au titre du d?veloppement ?quilibr? du territoire). Par contre, le consommateur n'a pas le choix de la compagnie distributrice d'?lectricit? ou d'eau. Le service public s'impose dans ces cas.

Pour prolonger ces r?flexions, je citerai l'article de M. Gauchet:

"Le plus ?clatant des signes du nouvel ordre est le passage au premier plan des droits priv?s des individus, ind?pendamment de leur expression citoyenne et de leur conversion politique en volont? g?n?rale. [...] la r?gulation juridique acquiert une place toujours plus consid?rable aux d?pens du domaine de la volont? politique [...] l'Etat tend ? se muer en agence de coordination des int?r?ts particuliers. Non seulement la soci?t? civile s'affirme, de la sorte, en dehors de la politique, mais elle en vient ? exiger une inscription comme telle dans la sph?re publique. [...] La mutation est sp?cialement saississante dans le cas de l'Ecole, qui, de temple de l'?mancipation qu'elle se voulait, se banalise en agence de l'?panouissement personnel. [La sph?re publique]?est un miroir l?gitimant de la sph?re priv?e o? les diff?rentes composantes de la vie nationale cherchent ? se faire reconna?tre et ? s'assurer de leur identit?. [...]?Les croyances [religieuses] se muent en identit?s, ce qui ? la fois limite leur port?e et les rend intraitables: une croyance se discute, pas une identit? qui ne requiert que le respect. [...]?
L'affaiblissement de l'emprise sociale des religions n'emp?che pas qu'elles puissent revendiquer avec succ?s davantage de place dans l'espace public."

Cet article analyse une tendance profonde de l'?volution des soci?t?s occidentales, et semble tirer un trait sur l'Etat et la la?cit?. Il n'?voque gu?re la n?cessit? de pr?server l'espace public des influences confessionnelles, ni plus g?n?ralement, n'envisage la possibilit? d'influer sur les ?volutions observ?es.
Devrions-nous nous r?signer et ranger dans l'armoire ? souvenirs nos convictions battues en br?che, sous les feux crois?s des cl?ricaux de tout poil, des r?gionalistes et des ultralib?raux ?
L'Histoire n'a que le sens que les hommes lui donnent ; le marxisme ?tait encore vu, il n'y a pas si longtemps, comme "l'horizon ind?passable de notre temps".
A nous d'aider le balancier ? repartir dans une direction favorable.

Bruno Courcelle

Je publierai ici les commentaires qui me parviendront, je r?pondrai aux critiques ?ventuelles. N'h?sitez pas ? .

(1) dans "La?cit?, fait et ? faire", suppl?ment au no 58 de "Les id?es en mouvement", Ligue de l'Enseignement, avril 1998, pp. 15-23.

(2) Ce d?but de phrase avait "saut?" dans la parution sur papier de cet article.

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