Mouvement "Europe & Laïcité"



        

L'état de la laïcité:
2. France


(3ième partie du document: pour la première partie)

     
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Autres chapitres de cette étude:
L'état de la laïcité: 1. Europe occidentale.
L'état de la laïcité: 3. Europe Centrale et Orientale
L'état de la laïcité: 4. Pays hors de l'Europe.

Annexe 3: Le principe de laïcité est-il universel?

Sur une conférence de P. Eyt, archevêque de Bordeaux (et un discours du même tonneau par G. Defois, archevêque de Reims).


Sous le titre "Le principe de laïcité est-il universel?" la Semaine Religieuse de l'Archidiocèse de Bordeaux et de Bazas du 10.7.1998 a publié le texte d'une conférence de P. Eyt, signalée par le Réseau Voltaire, que je remercie de sa vigilance. Je la commente ci-dessous, en citant de larges extraits du texte intégral. Les passages en italique sont cités du texte. Les mises en gras sont de ma responsabilité.

Aux yeux de ceux qui l'établirent et au terme d'une longue histoire, en prônèrent la mention dans la Constitution de la République Française (1946), le principe de la laïcité ne peut être qu'un principe universel. Cela veut-il dire que la laïcité, telle qu'on l'exprime en France, peut être comprise, voulue, légitimée et vécue partout?

La loi de la gravitation est universelle; elle s'applique identiquement sur toutes les planètes. Une loi (juridique), un principe, une déclaration si solemnelle soit-elle, sont oeuvres humaines et leur universalité ne peut être que souhaitée. L'adoption des dits lois et principes peuvent faire l'objet d'une action politique internationale, mais l'universalité en question dépend de l'adoption et du respect par les autres pays.
D'autre part, rien n'est acquis définitivement, toute loi peut être abrogée. Ce à quoi nous tenons, il nous faut tous les jours le défendre, comme le savent bien ceux qui défendent le droit à l'avortement.
Concernant la laïcité, la vraie question n'est pas celle d'une universalité de principe, mais de l'existence d'une volonté politique pour la faire respecter ou adopter. Il s'agit de convaincre un maximum de citoyens de tous les pays du monde de sa nécessité, pour la paix et le respect des libertés individuelles.

Si le principe de laïcité indissociable de la Constitution Française s'avérait transposable dans les Constitutions des autres Nations Européennes, nous aurions un indice sûr du caractère universel de la laïcité. Si, au contraire, le principe de laïcité n'est pas transposable [...] nous devrions peut-être renoncer à considérer le principe de la laïcité comme universel. Nous aurions aussi à nous poser en conséquence la question du type de légitimité qui l'accrédite à la place qui est la sienne dans la Constitution de la République Française et dans la vie du Pays.

Le principe de laïcité est transposable dans toute constitution démocratique pour peu que les citoyens en décident ainsi. On voit donc la malhonnêteté de l'argumentation qui consiste remettre en cause la laïcité en France au prétexte que les autres pays ne l'ont pas encore adoptée!

La laïcité en effet ne peut pas constituer un principe tel qu'il échappe à toute discussion. Telle est la modernité qu'aucune idée ne revêt désormais un caractère sacré ou un caractère maudit qui puisse en interdire la discussion ou la mise en débat.

On sent comme un regret dans cette observation, surtout si on connaît les positions du Vatican en matière d'orthodoxie théologique!

La diversité des significations de l'idée et de la pratique de la laïcité est extrême, mais elle peut être néanmoins ramenée à deux pôles nettement identifiables et contrastés. Dans un angle resserré, nous pouvons entendre la laïcité comme le refus de donner à toute forme de transcendance spirituelle ou religieuse la moindre part de l'espace public, ainsi que de lui reconnaître une capacité d'expression et de compétence regardant la société. Dans une perspective plus large, la laïcité pourrait se comprendre comme la mise en oeuvre, équitable et respectueuse , de la présence et de l'action dans le champ social d'une pluralité d'expressions organisées se manifestant sur le plan religieux et spirituel. On voit bien que l'opinion française alterne entre une laïcité de refus ou du moins de réticence et de restriction et une laïcité de neutralité positive.

Dans un état démocratique, quelque soit le régime de séparation des religions et de l'Etat concerné, les citoyens élisent leurs représentants et participent à la vie politique via les partis, syndicats et associations, sans "restreindre" leurs opinions religieuses et philosophiques. Les religions disposent donc, de fait, d'une capacité d'expression et d'action sur la société, à travers leurs fidèles. Ce qui est sous-jacent à la revendication de "présence et [d]'action dans le champ social d'une pluralité d'expressions organisées se manifestant sur le plan religieux et spirituel", noter le mot "organisées", c'est la reconnaissance officielle d'Eglises et de communautés religieuses (ou "spirituelles" (sectes ?)) comme interlocuteurs de l'Etat, comme autant de "piliers" comme on dit en Belgique.
Laïcité de refus: oui, et nous nous en vantons. Il s'agit d'assurer l'indépendance de l'Etat par rapport aux lobbies religieux, et donc de leur refuser toute parcelle de pouvoir autre que celui issu du vote des citoyens. L'insistance de l'Eglise catholique à obtenir une reconnaissane politique se comprend d'autant mieux que ses effectifs de fidèles et prêtres sont en décroissance continue. (L'Etat, qui devrait servir l'intérêt général sans oublier les générations futures, devrait également être indépendant des lobbies industriels, financiers, régionalistes etc... La réflexion sur la laïcité est inséparable d'une réflexion plus large sur le rôle de l'Etat.)
Laïcité de neutralité positive: que cache le mot "positive"? Une aide financière apportée aux religions? une aide idéologique à travers les médias (c'est déjà le cas sur la télévision publique, voir la couverture des JMJ en 1997!) et l'enseignement? une participation officielle de l'Etat à diverses manifestations, commémorations et autres jubilés? une admission systématique des religions organisées dans les comités d'éthique? Tout cela, nous n'en voulons pas.

Le texte évoque ensuite la mise en oeuvre sociale des institutions religieuses et de leur fonctionnement dans les autres pays d'Europe. Le terme "sociale" est important; en effet, les Etats se déchargent de plus en plus de leurs tâches d'assistance sociale sur des associations, souvent dotées de subventions, et offrent ainsi une formidable possibilité de prosélytisme aux religions (chrétiennes, juives, musulmanes, y compris dans leurs variantes intégristes) et aux sectes, à vocation religieuse ou thérapeutique.

De plus, le mouvement de sécularisation, en atténuant les conflits de nature strictement religieuse, affaiblit par là même la revendication et la légitimité de la laïcité. Cette dernière apparaît alors, à son tour, comme une variante dans l'expression de l'absolu, et à ce titre, comme une certaibe forme de dogmatisme, pouvant être elle-même marquée par l'intolérance, bref une "religion séculière".

Les guerres de religion sont loin d'avoir partout disparu, et de nombreux pays ont besoin d'une laïcité non pas de refus, mais de simple protection!
Il est classique de faire observer que des guerres civiles, comme en Irlande du Nord, ne sont pas des guerres de religions, mais des guerres de communautés, qui utilisent des "drapeaux religieux". Certes, mais une laïcité refusant de reconnaître les religions, refuserait par là même de reconnaître ces communautés (comme communautés organisées et hostiles) et aiderait à la cessation des conflits.
D'autre, si dans le monde occidental, les diverses religions s'entendent et même "dialoguent" (le dialogue inter-religieux est à la mode -- je dois dire que j'imagine mal en quoi il peut consister si ce n'est à s'entendre pour imposer ou maintenir partout où c'est possible les législations rétrogrades en matières de moeurs, comme on l'a vu au Caire), le respect des non-croyants et de leurs options politiques justifie à lui tout seul le maintien de la laïcité la plus stricte. Faut-il rappeller que le Saint-Siège milite ouvertement contre le droit au divorce là où c'est possible (en Irlande par exemple lors d'un récent référendum), contre les projets tels que le PACS (en France), contre le droit à l'avortement et à la contraception. Dans 50 ans, quand la laïcité se sera imposée, le futur pape fera peut-être "repentance" pour les prises de position antilaïques de ses prédécesseurs.

D'autre part, j'observe avec amusement que P. Eyt utilise le mot "religion" dans un sens péjoratif. Il évoque ensuite les sectes et nouveaux mouvements religieux qui dénoteraient par leur succès "une certaine reviviscence de la religion". [Le principe de laïcité] peut même être accusé de devenir un moyen discriminatoire et policier dans un champ social où la compétence de l'Etat, précisément laïque, ne peut se mettre pour autant au-dessus de toute discussion et contestation.

Autrement dit, c'est l'Eglise catholique qui devrait faire la police des sectes! Sans commentaire.

Suit un paragraphe sur la culture et la morale. Pour comprendre la laïcité, il faudrait connaître l'Histoire. Faut-il connaître l'astrologie pour refuser son senseignement dans les écoles? Une laïcité conséquente ne devrait pas considérer qu'il y a là un problème secondaire et de toute façon, en voie de solution parce qu'on aurait complété les programmes scolaires! Si l'on veut que les citoyens français comprennent la laïcité, il faut leur donner les moyens de voir d'où elle provient.

En filigrane, c'est le serpent de mer de "l'enseignement des religions" qui réapparaît. Les religions sont inséparables de l'histoire, de la littérature, de l'art, de la philosophie, et n'ont pas à être isolées dans un enseignement séparé.

L'Islam, quoiqu'on dise, n'a pas de principe fondateur pour penser quelque forme que ce soit de laïcité.
Suit une longue explication selon laquelle la laïcité a été fondée par la parole évangélique "Rendez à César etc..."
... comment penser et mettre en oeuvre la place originale de l'Islam dans un régime fondamentalement hérité de l'Evangile et donc voué à la distinction structurelle des ordres politiques et religieux? (Bravo pour l'impasse sur l'Inquisition, sur des siècles de politique vaticane, jusqu'à celle d'aujourd'hui, et sur les dynasties de monarques ayant assis leur pouvoir sur une consécration religieuse!) Pour résoudre ce problème: ... la recherche sur les "sources" de la religion musulmane, les transformations sociales contemporaines, le dialogue inter-religieux pourraient aider l'Islam à faire l'expérience et la preuve que les musulmans ont vocation à comprendre un certain type de laïcité.

"Un certain type de laïcité"? Nous devinons bien qu'il ne s'agit pas de la laïcité telle que nous l'entendons. On observera au passage la contradiction avec l'assertion initiale. Qui peut penser sérieusement que la recherche érudite sur les sources de l'Islam modifiera la politique des Talibans?

L'intégrisme est certainement une grave pathologie de la religion mais ce n'est pas émettre un jugement téméraire de dire qu'il peut aussi affecter des idéologies et des attitudes athées entraînant une indiscutable anti-religion. Au nom de quelle immunité miraculeuse la laïcité échapperait-elle à l'intégrisme?

Quel beau syllogisme: toute religion a ses intégristes, la laïcité est une sorte de religion, et donc, a aussi ses intégristes. P. Eyt ne définit pas précisément l'intégrisme mais évoque à son propos "l'agressivité" et une "vision totalitaire du réel". Il serait bien en peine de citer une seule action violente d'origine laïque! Il entretient une confusion volontaire entre l'athéisme personnel (philosophie, choix de vie), l'athéisme actif des régimes totalitaires des anciens pays de l'Est et la défense des valeurs laïques qui n'acceptent aucun athéisme officiel et laissent à chacun le choix de sa religion ou son refus de toute religion.

[...] la laïcité est aux prises avec des transformations de notre société qui, de toute façon requièrent que nous passions d'une laïcité de refus ou de restriction à une laïcité de respect et de neutralité ou d'intervention positive.

Intervention positive? Pourquoi pas une "affirmative action" et des quotas en faveur des religions en perte de vitesse?
Il est vrai que la société change, que la distinction entre "public" et "privé" devient floue compte tenu de l'importance tous les jours croissante des associations, qui sont "privées" dans leur création et leur fonctionnement, mais "publiques" dans leurs objets et leurs financements (soit directs, soit indirects par divers dégrèvements fiscaux). L'Etat doit-il pour autant tout subventionner? Quels sont les critères à retenir? Les réponses à ces questions concernent rien moins que la démocratie et donc aussi la laïcité, intimément liée à une conception de l'Etat qui est peut-être à "refonder".

Certains traits français de cette notion [la laïcité] et de cette pratique seront conservés, mais de fait, pour l'essentiel, nous nous rapprocherons de ce qui se passe dans les autres Pays d'Europe.

Cette certitude non étayée semble plutôt un voeu.

[...] dans la mesure où pour répondre à des questions nouvelles, notre conception et notre pratique évolueraient elles aussi, nous pourrions conclure que la laïcité est un principe universel, susceptible de mises en oeuvre toujours amendables dans des contextes culturels et sociaux très diversifiés. [...] Nous ne pouvons pas continuer à penser comme au début du siècle. Nous ne pouvons pas non plus laisser se survivre des polarisations qui, d'ores et déjà, opèrent dans le vide.

Quelle salade! En quoi l'universalité d'un principe dépendrait de l'évolution de sa mise en oeuvre dans tel ou tel pays!

Conclusion:

P. Eyt ne précise aucune des conséquences de sa conception de la laïcité; par contre, son refus d'une véritable indépendance de l'Etat par rapport aux forces religieuses organisées est très clair. L'Europe n'est qu'un prétexte pour saper les positions des mouvements laïques tels que le nôtre.
Invité à un débat organisé par Le Monde à Pessac (Gironde) en novembre 1997 sur le thème "le XXième siècle sera-t-il laïque?" P. Eyt s'était trouvé être le seul à défendre la laïcité, en formulant "le voeu, l'espérance et la prière" que le XXIième siècle soit laïque: "La laïcité devra appartenir au bien commun de toutes les nations". (Voir le compte rendu que j'en ai fait).

Cette intervention et le présent texte illustrent parfaitement la stratégie de l'église catholique en ce qui concerne la laïcité: s'en poser comme défenseur, mais d'une version qui se prétend "moderne", consistant en une vague tolérance bien nécessaire vu le rapport des forces religieuses, assortie surtout d'une revendication de reconnaissance officielle permettant de jouer un rôle politique et d'obtenir les crédits que le denier du culte n'apporte plus.

Annexe 1: La laïcité, espace commun de responsabilités.
par G. Defois, archevêque de Reims, dans "Les idées en mouvement", supplément au no 58, avril 1998, consacré à la laïcité (revue de la Ligue de l'Enseignement)

L'article débute ainsi:
Dans le monde catholique français, la laïcité est ressentie souvent comme une agression à l'égard de la religion catholique.
Suit un exposé "historique", avec de nombreuses références à Clovis et son baptême, qui ne manque pas d'opposer les extrémistes laïques aux catholiques porteurs de "vérités" qui devraient inspirer toute la vie politique.
La société sécularisée "à la française" se veut pluraliste et ouverte à toutes les opinions. Il en résulte parfois une volonté de marginaliser la foi chrétienne et l'institution ecclésiale dans l'espace privé. C'est-à-dire réduire le spirituel, le moral à un particularisme confessionnel. Ce que faisait déjà le communisme dans la Constitution des pays de l'Est ou de l'URSS autrefois. Dans ce cadre, les convictions religieuses ne doivent avoir aucun impact social et encore moins politique. Ce qui amène des hommes politiques à se dire chrétiens en tant que personnes privées et laïcs (sic, il fallait écrire "laïques") en tant que responsables de l'Etat et de ses lois. Jean-Paul 2 s'est élevé contre cette représentation etc..."
Au moins c'est clair: la laïcité y est définie comme inacceptable pour les catholiques qui suivent Jean-Paul 2 et ses encycliques. G. Defois n'accepte pas que les hommes politiques agissent dans le respect des convictions de l'ensemble des citoyens, et non de leurs seules convictions personnelles. C'est sans doute le principe de base de la démocratie qu'il ressent comme une agression. On notera au passage l'allusion à l'URSS qui sert de repoussoir et qui donne un argument oblique pour rejeter la laïcité telle que nous la concevons.
Pour la bonne bouche:
La banalisation de l'amour, de la sexualité, de l'argent et de la réussite personnelle génère des sentiments angoissants de précarité.
Evidemment, les moines dans leurs couvents ne courrent pas ce risque! Notez la terrible "banalisation": toutes ces choses horribles sont parfaites tant qu'elles sont réservées à l'élite.
Le risque n'est-il pas de voir se multiplier les croyances irrationnelles, les crédulités religieuses, sinon les guerres de religions?
Si bien sûr, c'est pourquoi nous nous opposons à la propagande religieuse, diffusée dans les écoles sous couvert de culture.

Comme confirmation de l'assertion initiale de G. Defois, l'association "Avenir de la Culture" émanation de la secte catholique d'extrême-droite "Travail, Famille, Propriété" propose une pétition:
Appel aux catholiques français dont la conscience et quotidiennement violée par l'agression impie de la laïcité militante
Face au radicalisme de la vague anti-catholique qui s'est abattue sur notre pays, à travers les médias, utilisant comme prétexte la visite du pape pour les célébrations du 15ième centenaire du baptême de Clovis, je tiens à exprimer ma plus vive protestation contre cette incroyable agression, etc...
Voir le bulletin de la Libre-Pensée des Deux-Sèvres, no 21, juillet 1998.



Première partie du présent document: L'état de la laïcité en France.

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